samedi 25 juin 2022

La Cour Suprême américaine

 

Elle vient de prendre une décision extrêmement contestée aux États Unis, qui agite aussi l’opinion en Europe, puisqu’il s’agit de revenir sur le droit à l’avortement, considéré par les femmes comme un droit essentiel depuis une cinquantaine d’années dans tous nos pays, et qui correspond à l’évolution de nos sociétés et de leurs mœurs !

 

Cette décision très largement condamnée et qui va avoir beaucoup de conséquences, est d’autre part attribuée à des juges ultra politisés et conservateurs, dont trois ont été nommés à dessein, il y a peu, par le Président Républicain Donald Trump. Tout le monde se scandalise sur le fait que des juges puissent ainsi revenir sur un droit fondamental !

 

Tout ceci est compréhensible, mais nécessite une analyse plus fine et objective, pour étudier les fondements de cette décision. D’abord il ne s’agit pas de l’abrogation d’une loi, mais de la suppression d’une jurisprudence basée sur une interprétation de la Constitution américaine.

 

Les Américains en effet ne sont jamais parvenus à réunir une majorité au Congrès pour légaliser l’avortement. L’Amérique est un pays profondément conservateur, très marqué par la religion, et le débat sur ce sujet est difficile car il oppose la liberté à la morale, les opinions de part et d’autre pouvant être considérées comme tout autant respectables.

 

Pour trouver une solution, la Cour Suprême de 1973, alors à tendance progressiste, s’était prononcée par son arrêté « Roe versus Wade » en considérant que "le droit au respect de la vie privée garanti par la constitution s’appliquait à l’avortement", établissant ainsi cette jurisprudence. Ceci donnait aux femmes américaines un droit qui n’était pas établi par une loi spécifique ! Cette décision avait d'ailleurs à l’époque également soulevé  beaucoup de protestations !

 

A la suite de nombreuses tentatives et recours d’associations anti-avortement depuis des années, il était donc possible pour les juges de la présente Cour, aujourd’hui fortement conservatrice, de revenir sur ce droit qui ne reposait que sur une simple interprétation d'un article de la constitution, rédigé à une époque où le problème ne se posait pas !


Il appartiendra maintenant à chaque Etat du pays, de décider d'une législation concernant l'avortement, ce qui introduira fatalement des disparités, des injustices, des changements à la faveur de  nouvelles élections ( le sujet étant éminemment politique) et des complications juridiques pour les citoyens américains.

 

Le vrai problème de nos amis d'outre-Atlantique n’est donc pas, à notre avis, de critiquer leur Cour Suprême, mais de se mettre d’accord entre eux pour rétablir la légalité de l’avortement par une vraie loi constitutionnelle. Mais cela leur est évidemment très difficile de la faire voter par leur Congrès, d'abord parce qu'une large majorité y est nécessaire et que le peuple américain est d'autre part très divisé sur le sujet !

 

On peut critiquer en général les juges, nous le faisons ici souvent, mais il faut bien comprendre que leurs décisions sont toujours basées sur les références juridiques que sont les lois ! Leur seule appréciation ou apport personnel réside dans l’interprétation possible des textes, lorsque ceux-ci, par leur imprécision ou leur généralisation, le permettent. Les législateurs ont, eux, pour rôle de bien les préciser ou de les modifier ! 


Des juges avaient rendu possible l'avortement il y a 50 ans, d'autres le remettent en cause aujourd'hui ! Ces deux décisions ont évidemment, on peut le regretter, un caractère très politique, mais il faut bien reconnaitre que les Congrès américains et leurs hommes de loi successifs, eux, n'ont  donc jamais fait leur boulot pour modifier la constitution en précisant ce droit et en le "verrouillant" !...si toutefois il existait une majorité claire chez les Américains pour ou contre l'avortement !  


Car une loi seule peut faire changer les mentalités. Beaucoup de Français étaient opposés en 1975 à la loi Veil sur l'IVG. Avec le temps cette loi a ensuite été admise dans notre pays, et plus personne n'en parlait aujourd'hui jusqu'à cette décision de la Cour Suprême américaine !


Les institutions américaines, pratiquement inchangées depuis plus de deux cents ans, ont eu de très grands mérites dans le passé pour assurer la gouvernance et la stabilité de ce grand pays. On peut se demander si elles sont toujours adaptées pour répondre aux problèmes du monde d'aujourd'hui, quand on constate qu'elles conduisent à un blocage d'une société dans laquelle le pouvoir exécutif fédéral est complètement paralysé et rendu impuissant par les décisions de juges politisés, ou par l'activisme de nombreux et très puissants lobbies !


En effet, avec la nécessité d'une majorité requise des deux tiers dans chacune des chambres pour voter une loi constitutionnelle, qui rend difficile toute modification, l'habitude a été de s'en remettre à la Cour Suprême qui fournit, à la demande, des interprétations de la Constitution faisant force de loi ! Ce fut le cas pour l'avortement, comme pour le mariage homosexuel et bien d'autres décisions.


Les inconvénients de cette pratique, de cette facilité, sont multiples. D'abord parce que le que le pouvoir législatif abandonne ainsi ses prérogatives à des juges, qui ont un parti pris politique, et qui ne représentent pas légitimement le peuple américain puisqu'ils ne sont pas élus !


Ensuite et surtout parce que les interprétations que font ceux-ci de la Constitution peuvent être très facilement modifiées, nous venons de le voir, lors des changements ultérieurs de la composition de la Cour Suprême !


Enfin parce qu'il faut admettre qu'en rédigeant la Constitution, les pères fondateurs étaient bien incapables de prévoir tous les problèmes auxquels la société devrait faire face deux siècles plus tard, et qu'il est par conséquent curieux de vouloir systématiquement s'y référer pour trouver les solutions aux problèmes du monde d'aujourd'hui !


Les pères fondateurs de la constitution voulaient que celle-ci dure des siècles, ils savaient qu'elle ne règlerait pas tous le problèmes du futur, mais ils ont rendu très difficile ses amendements avec l'obligation d'une majorité des deux tiers des votes des deux chambres du Congrès, avec en plus leur ratification par les trois quarts des Etats !


Les Américains qui se désespèrent de la décision de leur Cour Suprême, devraient réfléchir à cela, et surtout essayer de rechercher un consensus avec leurs compatriotes pour changer de système de décision pour une voie plus démocratique !


Mais il faut bien entendu regretter cette décision des juges qui n'ont pas compris qu'ils venaient inutilement de fracturer encore davantage une société américaineaujourd'hui très divisée !

 

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